Patrick
MICHELETTI 22/05/2010
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pamicheletti@free.fr
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Connaissez vous la spasmophilie ?
Le terme
« Spasmophilie » est apparu pour la première fois dans une
publication médicale française en 1948, à l’initiative du professeur Claude
Klotz, qui dirigeait alors le service d’endocrinologie de l’hôpital Bichat.
Le
professeur Klotz tentait alors de mettre un nom fédérateur sur un syndrome
extrêmement difficile à cerner. Il pensait alors qu’en définissant mieux ce
syndrome, et qu’en lui donnant une « identité », on parviendrait
certainement à mieux prendre en charge les plaintes des patients concernés.
Au fil
des années, le professeur Klotz a beaucoup publié sur le sujet, avec en
particulier en 1982 un ouvrage destiné au grand public « Etre spasmophile
et bien portant »
Depuis, de très nombreux ouvrages ont été publiés sur le sujet, les sites internet, les forums et les associations se sont multipliés, le mot est entré dans le langage médical, puis dans le langage courant, et même dans le dictionnaire… Dans le dictionnaire français, je précise, car ce mot est resté une exclusivité franco-française. Il ne s’est pas exporté, pas même dans la francophonie, puisqu’il semble quasiment inconnu au Québec. On parle plutôt de dystonie neurovégétative en Allemagne, de névrose en Angleterre, de trouble anxieux aux Etas-Unis…
En France, le terme « spasmophilie » fait depuis toujours polémique dans le milieu médical, certains acceptant le terme, d’autres le rejetant catégoriquement. Il y a même ceux qui « y croient » ou ceux qui « n’y croient pas », un peu comme on croie ou ne croie pas à l’astrologie, ou aux soucoupes volantes…
Qu’est ce qui peut donc bien se cacher de si mystérieux derrière ce terme « spasmophilie » ?
Tous les ouvrages paraissant sur le sujet tentent, parfois très longuement, d’en donner une définition. La difficulté majeure de cette définition est qu’il n’y a pas un tableau-type qui pourrait s’appliquer à tous les patients, mais que les symptômes décrits et les réactions face aux traitements peuvent être très divers et variés d’un patient à l’autre.
C’est ici que commence la polémique.
Hydre de Lerne à cent visages, protéiforme, psychosomatique, invisible, ou insaisissable, on peut lui faire dire tout et n’importe quoi…
Si l’on admet le principe qu’il existe presque une spasmophilie par spasmophile, on peut aussi bien en déduire que ce terme ne sert à rien, et qu’il faut examiner le cas de chaque patient individuellement, sans lui coller une étiquette qui n’aura pas grande utilité.
Par contre, si l’on peut faire l’impasse sur le terme « spasmophilie », on ne peut pas ignorer les symptômes qui se cachent derrière, et qui eux, sont universels et relativement fréquents (On estime qu’environ 15 % de la population est concernée, à des degrés divers)
Essayons tout de même une définition :
Le terme « spasmophilie » (affinité pour les spasmes) désigne un syndrome, c'est-à-dire une panoplie de symptômes, à la fois physiologiques et psychologiques, étroitement liés entre eux, et variables d’un sujet à l’autre.
La plupart de ces symptômes semblent être causés par un terrain neuromusculaire et affectif hypersensible, mais surtout par une hyperréactivité aux stimuli, et particulièrement à certaines hormones, comme l’adrénaline. Cet état d’hypersensibilité rend problématique l’adaptation de l’organisme aux contraintes de l’environnement.
Je ne ferai pas ici un « catalogue raisonné » des symptômes, qui comme je l’ai dit, peuvent être nombreux, divers et variés. Pour simplifier, si toutefois c’est possible, je dirais que la quasi-totalité des patients dits « spasmophiles » décrivent des symptômes principaux identiques, physiologiques et psychologiques.
Les symptômes physiologiques sont :
— La fatigue chronique, ou plus précisément l’asthénie, qui provoque souvent la confusion avec le SFC (syndrome de fatigue chronique)
— Les spasmes de la musculature lisse ou striée, parfois provoqués par une hyperexcitabilité neuromusculaire essentielle, très souvent héréditaire. Ces spasmes sont parfois aussi aggravés par une tétanie chronique, affection qui était étudiée par le professeur Klotz dans les années 40, au moment où il a proposé le terme spasmophilie. Parmi ces spasmes, les plus souvent décrits sont les extrasystoles (palpitations cardiaques), les spasmes vasculaires, parfois douloureux, les myoclonies (petites contractures et tremblements musculaires incessants), les crampes et les fourmillements, les spasmes respiratoires (boule dans la gorge, oppression, hyperventilation), mais également les spasmes digestifs et intestinaux.
Les signes cliniques principaux sont le signe de Chvostek et la positivité de l’électromyogramme, dans certaines conditions.
Les symptômes psychologiques sont :
— L’anxiété, souvent chronique ou récurrente, souvent liée aux troubles physiologiques, avec auto-entretien en cercle vicieux., et qui peut se décompenser en attaque de panique, d’où, ici encore, la confusion possible avec la névrose anxieuse, le TAG (trouble anxieux généralisé) ou le trouble panique (« Panick attack » chez les anglo-saxons)
— La sensation de mort imminente, souvent présente dans l’attaque de panique.
— Les sensations de vertiges
— Les cauchemars et l’insomnie, qui accentuent la fatigue.
— Certaines phobies ( agoraphobie, claustrophobie )
— Des signes d’hypocondrie, le spasmophile, au début de ses troubles, a tendance à errer de médecin en médecin, persuadé qu’il « a quelque chose »
Ce tableau clinique peut devenir assez lourd, et si le patient n’est pas bien pris en charge, les décompensations, les « coups de pompe » et les attaques de panique peuvent devenir répétitifs, voire invalidants, avec arrêts de travail ou hospitalisations. Le spasmophile mal soigné subit sans cesse la peur du malaise, ce qui l’oblige à supporter un sentiment permanent d’insécurité. La répétition des troubles, l’asthénie persistante, installent un sentiment de découragement, l’impression de « ne plus pouvoir assumer ».
A la longue, il peut y avoir dérive vers des maladies liées au stress, vers une phase d’épuisement (dite de Duc, du nom du médecin qui l’a décrite) ou même des formes de dépression, le facteur déclenchant la dérive étant souvent un stress ponctuel important. Ces phases extrêmes sont non seulement évitables par la prévention, mais également réversibles.
La spasmophilie (utilisons le mot pour simplifier), n’est pas une maladie. Toutes les personnes sérieuses qui ont étudié le sujet sont d’accord sur ce point. Personne n’est jamais mort de spasmophilie. La spasmophilie est plutôt un « état », je dirais plus exactement un « terrain », ou une typologie.
Il n’empêche que les patients consultant pour ce type de plainte doivent être tout de même pris en charge avec la plus grande attention, car outre le mal-être et les difficultés dans la vie de tous les jours que provoquent ces symptômes, ils peuvent à la longue dériver vers des troubles qui auraient pu être évités grâce à une thérapie adaptée.
Ces troubles physiologiques et psychologiques sont bien entendu étroitement liés, et tout traitement ne prenant pas en compte l’ensemble de la personne est voué à l’échec.
Si définition et diagnostic sont difficiles, les traitements le sont encore plus. Je dis « les » traitements, car ils sont, comme les symptômes, multiples et variés, des bons aux mauvais, des plus sérieux aux plus loufoques, certains profitant de la confusion dont je parlais plus haut pour verser carrément dans le mercantilisme, le mysticisme, ou même le surréalisme…
Certains médecins ou thérapeutes, tenants du « tout physiologique », prescrivent des traitements à base de rééquilibrage calcique ou magnésien, souvent un anxiolytique de type benzodiazépine, parfois un bêtabloquant du type Propanolol, parfois un antidépresseur sérotoninergique, pour soigner l’asthénie, et prévenir les attaques de panique.
Certains thérapeutes proposent des cures homéopathiques ou phytothérapiques, toute une panoplie de médecines dites « douces », des conseils de bon sens pour l’hygiène de vie (éviter les excitants alcool, tabac, caféine, faire un peu de sport, de la relaxation…)
Les tenants du « tout psychologique » font souvent la confusion entre spasmophilie et dépression, parce qu’ils voient souvent les malades lorsqu’ils sont en phase de décompensation ou d’épuisement. En général, ils les orientent vers une psychothérapie, et une cure d’antidépresseurs. Les troubles physiologiques sont souvent qualifiés de « psychosomatiques », terme qui ne veut strictement rien dire, mais qui s’avère parfois bien pratique…
Par ailleurs, avec le développement d’Internet, de très nombreux
spasmophiles, se sentant incompris ou considérés comme des « malades
imaginaires », recherchent une écoute, un contact, une information, via
les forums spécialisés. Ces lieux de rencontre permettent de se confier et de
rechercher un soutien moral tout en préservant son anonymat. On y trouve ce que
l’on ne parvient pas à trouver dans son entourage ou dans le milieu médical
traditionnel, parfois de bons conseils, parfois de moins bons, seuls
l’expérience, l’esprit critique et les commentaires des autres internautes
permettant de faire la part des choses. Ces forums sont en train de devenir la
plus grande consultation spécialisée de la planète. Et ce n’est qu’un début…
Mais prudence, comme je l’explique plus en détail sur mon site web, la
fréquentation de ces forums n’est pas sans risques, car les patients qui les
découvrent, souvent jeunes et inexpérimentés, fortement anxieux, qui se sentent
malades sans vraiment l’être, qui souffrent de leur état, qui recherchent une
thérapie, ou simplement une épaule compatissante, sont en effet des proies
idéales pour le charlatanisme.
La polémique est ancienne, donc, sur le diagnostic, comme sur les soins, Les patients observent cette querelle entre les médecins, et cela n’est pas fait pour les rassurer… Je ne suis pas d’accord avec le docteur Christophe André sur son analyse de la spasmophilie (voir détails sur mon site), mais je suis d’accord avec lui quand il dit que le pire, pour ce type de patients,
Comme dans tous ces troubles de la personne humaine, où biologique et mental se trouvent étroitement imbriqués, il n’existe pas de « recette » en matière de thérapie, et encore moins de « recette miracle ». Un bonne thérapie doit toujours être adaptée à la personne dans globalité. Traitement du terrain par l’hygiène de vie, l’homéopathie ou la phytothérapie ; Traitement des décompensations ou des complications par l’allopathie, psychothérapie associée si nécessaire, relaxation, thérapies comportementales ou cognitives, ou même utilisation de thérapies novatrices comme celles décrites par Jean Louis Servan-Schreiber dans « Guérir », mais toujours, toujours la recherche d’une complémentarité et d’un juste équilibre entre traitement biologique et psychothérapie.
Dans cette optique, et je le rappelle en concluant, l’acte de dédramatisation me paraît essentiel dans le traitement de la spasmophilie, de même que l’acte médical qui va apprendre au patient à se prendre en charge lui-même sur le long terme. Pour arriver à de bons résultats, il est indispensable que s’établisse une bonne relation médecin-patient, relation basée sur l’écoute, le respect mutuel, et la confiance réciproque. Car comme dans la plupart des affections de ce type, le médecin est souvent le principal médicament…
Médecins qui lisez cet article, pensez-y, lorsque vous rencontrerez un spasmophile…
Vous trouverez sur mon site :
de nombreux commentaires et liens vers les sites et forums traitant de la spasmophilie. Ces sites spécialisés présentent également des bibliographies sur le sujet.
Avec tout cela, le mot « spasmophilie » ne devrait (presque) plus avoir de secrets pour vous…
Merci de votre attention
Patrick Micheletti