Chapitre
6
Cette
fois, je suis arrivée en retard à la consultation, mais ce n’était pas grave.
Le médecin n’était pas là. Une urgence, probablement, ou une maîtresse un peu
collante, ou les deux, allez savoir…
La secrétaire me fit
remarquer mon retard, comme ça, juste par méchanceté, puis elle me posa les
questions rituelles, tout en gardant un œil rivé à la télévision, qui diffusait
une de ces séries américaines dégoulinante de dentifrice et de parfum de
supermarché.
Nom,
prénom, âge, adresse, sécu : Isabelle Fontaine, vingt-cinq ans, rue des
cinq diamants, Paris, butte aux cailles, puis une série de chiffres qui
commençait par deux. Le chiffre Un, c’est pour les hommes et c’est normal, ils
sont arrivés les premiers aux guichets de la sécurité sociale. Pour une
urgence. Une histoire de côte cassée, ou quelque chose comme ça…
Elle
me tendit un questionnaire, « à remplir avec soin », précisa-t-elle,
et à remettre au médecin, puis elle se replongea dans la contemplation du
défilé de brushings sur le petit écran.
Dans
la salle d’attente, il n’y avait que deux personnes, ce qui me surprit un peu,
car j’avais dû patienter deux mois pour obtenir ce rendez-vous, et je pensais
qu’il y aurait affluence…
Une
fois assise, j’ai fait le tour du propriétaire.
Ah !
Il y avait une reproduction d’une estampe japonaise au mur. Une de la série
des trente-six vues du mont Fuji. La plus célèbre. La
vague.
Une
immense vague bleue écumante de rage, qui déferlait au dessus de deux malheureuses
barques de pêcheurs. La vague semblait vivante. On aurait dit une bête furieuse,
toutes griffes dehors, prête à déchiqueter sa proie. Le temps semblait comme
suspendu. Le destin des pêcheurs serait scellé dans la seconde suivante. Il
y avait deux possibles. Soit les bons génies du mont Fuji viendraient à leur
secours et ils auraient la vie sauve, soit ils mourraient, engloutis par la
vague. Une des plus belles choses jamais dessinée par une main humaine. La
main d’Hokusaï.
Il
y avait aussi une jeune fille en face de moi, à peu près de mon âge, et à peu
près de ma mine… Elle était rousse, mais pas du genre incendiaire, plutôt du
genre éteint à l’heure présente, sauf son regard, d’un vert profond, qui me
troubla. Elle me rendit mon sourire, avec ce léger tremblement de la lèvre supérieure,
si familier… Pas de doute possible : on était dans le même bateau…
A
droite, près de la fenêtre, il y avait un homme plongé dans la lecture du
Figaro Magazine. Un petit rougeaud moustachu, le cheveu gras mi-long, sanglé
dans un costume pied-de poule trop étroit. En façade rez-de-chaussée, il
exposait de remarquables socquettes blanches a liserés rouges et bleus, qui
mettaient en valeur ses énormes mollets poilus. Il avait certainement remarqué
ma présence, mais il ne semblait pas intéressé. Monsieur est difficile ?
D’habitude,
quand je rentre dans une pièce, les hommes jettent un coup d’œil, plus ou moins
appuyé, selon les cas, juste comme ça, pour évaluer la marchandise, pour
estimer leurs chances, au cas où, que
sais-je encore, mais là, rien. Le bide total. C’est limite vexant…
La
jeune fille d’en face me proposa son stylo,
et nous échangeâmes quelques politesses. Elle avait terminé son
questionnaire, il était temps que je commence le mien…
C’était
comme les tests qui fleurissent l’été dans les magazines féminins. Quarante
questions auxquelles on pouvait répondre oui, non, parfois… On compte les
points à la fin, et on vous donne le décodage,
comme ça, vous savez si vous êtes une vraie garce, une belle salope, une
chieuse de première, une maîtresse idéale, une sainte nitouche, une oie
blanche, ou un authentique mauvais coup. Il paraît que les femmes adorent ça,
et que les hommes les remplissent en cachette.
Des fois, j’ai du mal à me
situer…
Quarante
questions courtes et pointues comme des aiguilles, de celles qui font mal à
chaque fois que l’on répond oui.
- Ressentez-vous de la fatigue ? Oui,
Aïe !
- Une espèce de boule dans la gorge ?
Oui, Aïe !
- Des vertiges ? Oui, Aïe !
- Des palpitations ? Oui, Aïe !
Et
ainsi de suite, jusqu’à la fin des haricots… Le grand Quizz de la petite
misère. Le catalogue de la Redoutable. La liste des commissions, quand on se
traîne jusqu’au supermarché, rayon surgelés, pour remplir son caddie d’états
d’âme… Bref : Ils voulaient savoir si j’étais fatiguée, nerveuse,
anxieuse, dépressive, irritable, frigide, engourdie des membres, oppressée,
souffreteuse… Si j’avais des palpitations, des nausées, des troubles de
l’équilibre, des crampes d’estomac, des verrues plantaires… Et ma vie sexuelle
dans tout ça ? Est-ce qu’ils y ont pensé, à ma vie sexuelle ? Ah oui,
c’est la dernière question, tout à la fin… Ouf !
J’ai
hésité.
D’abord, j’ai eu la tentation de répondre oui à tout,
puis non à tout, et oui seulement pour la frigidité et les verrues …
Voyez,
Docteur, c’est ça mon problème… Je pète la santé ! Jogging tous les
matins, restau tous les soirs, jamais de cauchemars, jamais mal au dos, jamais
de règles douloureuses, docteur, jamais ! En plus, je bouffe ce que je
veux et je prends pas un gramme, lalalère ! Je suis bourrée de fric, et
j’ai appris récemment que des messieurs très bien sous tous rapports s’étaient
battus en duel pour avoir le privilège de porter mon sac lors de mon parcours
de golf dominical… Mais voilà, docteur,
je suis frigide comme la Vénus de Milo, et j’ai des verrues plein les fesses…
C’est ça mon problème…
C’était
tentant, mais je ne connaissais pas ce médecin, et je ne pouvais pas préjuger
de son sens de l’humour… Et puis j’avais beau faire la maline, j’étais venue pour me faire soigner, pas pour délirer, même si c’était un peu ma
petite thérapie à moi…
Finalement,
je remplis le questionnaire sans rechigner, avec application. J’avais
« oui » ou « parfois » à presque tout, sans tricher.
Trente-six sur quarante. Au lycée, ça m’aurait fait du dix-huit sur vingt. Ca
devait être difficile à battre… A moins d’être en phase terminale.
Je
rendis le stylo à ma voisine en lui demandant à voix basse :
- Et vous, combien ?
- Vingt-neuf, me fit-elle, avec un sourire
triste, et un petit haussement d’épaule.
Vingt-neuf ? Une débutante, sans
doute…
Elle
était vraiment jolie, mais diaphane, un peu comme une Adjani d’il y a
longtemps, ou une Huppert, à la grande époque. Un minois pâlichon, des mèches
courtes et rousses tout autour, de
grands yeux verts, et des taches de rousseur. Sa bouche restait entr’ouverte,
et sa lèvre supérieure ne cessait pas de trembler doucement, ce qui n’était pas
grave. C’était juste un signe de reconnaissance.
- Ca va ? Demandais-je bêtement. La
lèvre supérieure se mit à trembler un peu plus vite.
- Pas trop, je suis un peu… fatiguée.
- C’est la première fois que vous
venez ?
- Oui.
- Moi aussi.
- C’est une amie qui m’a conseillé de venir,
continua-t-elle, elle va beaucoup mieux depuis…
- C’est rigolo, moi aussi, c’est une amie…
Je
faillis dire que l’amie en question, Christiane en l’occurrence, n’allait pas
vraiment mieux, mais c’eût été
maladroit. J’avais envie de la voir rire, pas de lui casser le moral.
Le
type sous la fenêtre émit un grognement. Il avait l’air contrarié. Notre
conversation de bonnes femmes aurait-elle indisposé le bestiau ou quoi ou
qu’est-ce ?
En
me rapprochant un peu de ma voisine, je pus lui conseiller à voix basse de ne
jamais déranger un type en train de plonger en apnée dans le Figaro Magazine.
On le laisse remonter lentement, sans le brusquer. Il y a des paliers de
décompression à respecter, sinon c’est le monôme du zombi, la bulle d’Azote
dans le sang, l’embolie, et crac !
Elle
pouffa de rire d’une manière inattendue, puis toussa, et hoqueta :
- Excusez-moi… Je suis désolée… Excusez-moi…
Sur
quoi le médecin fit son entrée. Il s’excusait, lui aussi, décidément… Une
urgence…
- C’est pas grave, fis-je, on connaît tous
ça, vous savez…
Il
me regarda avec un drôle d’air, comme si j’aurais mieux fait de ne pas la ramener…
Il ne devait pas avoir l’habitude qu’on s’adresse à lui impromptu et qui plus
est, d’une salle d’attente.
En
tout cas, j’étais repérée, et ça avait pas mis longtemps…
L’homme
aux socquettes d’enfer passa en premier, et sa consultation ne dura pas plus de
cinq minutes. Un simple résultat d’analyses, sûrement. Trop peu de temps pour
faire plus ample connaissance avec ma nouvelle amie, ce qui me désola.
Elle
avait rendez-vous après moi, mais je lui proposai ma place, vu qu’elle n’avait
vraiment pas l’air dans son assiette… Elle accepta, me remercia, et me tendit
une main douce et moite.
- Ca va aller, lui dis-je, vous verrez, c’est
un excellent médecin.
- C’est trop… Fit une voix grave derrière mon
dos. Puis la porte se referma.
Ma
consultation se passa assez mal.
J’en
avais marre de me cogner dans les portes des cabinets médicaux… J’en avais
aussi après le questionnaire, même si je comprenais la démarche visant à
économiser le temps des médecins de l ‘assistance publique. J’avais besoin
de m’exprimer, moi, de parler, de sentir un contact humain, quelque part,
quelque chose qui ressemblât à une écoute.
Quand
il eût consulté ma fiche et terminé la lecture du questionnaire, Docteur leva
les yeux et m’examina par-dessus ses petites lunettes. Il avait largement
franchi le cap, le monsieur. Oh, pas celui de Bonne Espérance, bien sûr, celui
de la cinquantaine, plutôt, et ça me rassurait. Les jeunes médecins, comme mon voisin de la butte aux cailles,
j’ai pas confiance. Ils apprennent le
métier sur le tas, et le tas, en l’occurrence, c’est nous. Soigner ce genre de
troubles nébuleux, où chaque malade est un cas particulier différent des
autres, ça demande de l’expérience, du temps, et moi, j’ai plus de temps à leur
donner. J’ai pas la patience. Je suis fatiguée.
Que
vous vous appeliez Dupont, Durand, ou Fontaine, une jambe cassée, c’est une
jambe cassée. Une angine, c ‘est une angine, une appendicite, c’est une
appendicite… On sait ce qu’il faut faire. Ca se ressemble, et ça se traite
toujours à peu près de la même façon.
Des
spasmophiles, dans le monde, il y en a des millions, mais il n’y en a pas deux
identiques. Je prends les paris.
Déjà
les quarante questions. Si on voulait entrer dans les nuances, bonjour
l’angoisse… On pourrait passer trois jours sur la première, et le reste à
l’avenant. Faudrait des mois pour y répondre. Quand en plus de la maladie, il
faut soigner le malade, ça complique, forcément.
Comme
la lecture du questionnaire se prolongeait un peu trop à mon goût, je me mis à
relever la manche de mon bras gauche, le plus haut possible.
- Qu’est-ce que vous faites ?
Demanda-t-il.
- Je dégage mon bras, pour que vous me
preniez la tension. Les médecins prennent toujours la tension au début. Juste
comme ça, pour voir. Ca ne sert à rien pour ce qui me concerne, mais je sens
bien que ça leur fait plaisir…
Il
fronça à peine à peine le sourcil gauche, mais manifestement, il en avait vu
d’autres…
- Vous savez, mademoiselle, à la question
« Etes vous irritable ? », il suffisait de cocher la case
« Oui ».
- C’est ce que j’ai fait.
- Je veux dire… Ce n’était pas utile de
rajouter « Oui » en lettres capitales soulignées avec un point
d’exclamation…
- Je le sentais comme ça…
Il
soupira, puis se mit à tapoter le dos de sa main gauche avec son index droit.
J’attendais la question rituelle ; celle qui ne rate jamais en début de
consultation, du style : « Alors ma petite dame, qu’est-ce qui vous
amène, hein ?… » Ou la variante « Dites-moi, ma petite dame,
comment tout ça a commencé, hein ?… » Mais ça ne venait pas. C’est
une autre question qui vint, et que je n’attendais pas.
- Vous connaissez la personne qui vient de
consulter, juste avant vous ?
- Euh, non. Pas du tout. Nous avons juste
bavardé un peu, dans la salle d’attente.
- Je pensais que vous vous connaissiez déjà…
Vous lui avez laissé votre place ?
- Je sais que les consultations peuvent
parfois durer assez longtemps, et elle n’avait vraiment pas l’air en forme.
J’ai voulu lui épargner une attente supplémentaire. Vous savez, une salle
d’attente, pour un spasmophile, c’est parfois pénible...
- Vous avez bien fait. Effectivement, elle
n’est pas très en forme, comme tous les
spasmophiles qui décompensent, mais elle n’a rien de grave, et je suis certain
que dans quelques semaines ou dans quelques mois, elle ira beaucoup mieux.
- J’ai déjà entendu ça quelque part…
Cette
fois, les sourcils se froncèrent d’une manière plus accentuée, et le tapotement
de l’index s’accéléra. Mon pouls aussi, s’accéléra et mes paupières se mirent à
cligner plus rapidement que de coutume.
- Cela sous-entend que vous avez vu d’autres
médecins avant moi ?
- Pas mal, oui.
- Combien ?
- Je ne sais pas… Peut-être quinze, ou vingt.
J’ai pas tenu de comptabilité.
- Généralistes ou spécialistes ?
- Généralistes, spécialistes, utopistes,
misérabilistes.
- Misérabilistes ?
- Ceux qui m’ont dit que j’étais faite comme
ça, et qu’il fallait faire avec…
Ah !
cette fois, j’eus droit à une ébauche de sourire.
- Et quel genre de spécialistes ?
- Cardiologue, neurologue, radiologue,
gastro-entérologue, auto-rinho, psy, homéopathe, phytothérapeute, ostéopathe,
rebouteux, marabout, grand sorcier, je
ne sais plus…
- Sérieusement, mademoiselle, et sans entrer
dans les détails, quel était le
diagnostic ?
- Le diagnostic ? Rien de bien méchant…
Rien d’inquiétant dans les examens et les analyses, rien sur les radios, rien
sur les scanners, rien dans le sang , rien dans les urines, rien dans la
tête… Je veux dire rien d’anormal… Ils me trouvent plutôt en bonne santé et me
prédisent un bel avenir. J’ai rien.
Juste un électromyogramme qui ressemble à un tremblement de terre force 9, et
quelques extrasystoles ridicules. Il paraît qu’on n’en meurt pas immédiatement.
C’est tout. J’ai rien. Vous allez perdre votre temps avec moi, parce que j’ai
vraiment rien. Je fais juste des cauchemars atroces, qui me réveillent trois
fois par nuit, avec les dents qui grincent, les mains qui tremblent, et des
crampes dans les pieds. Quand je me lève le matin j’ai l’impression que je
viens d’atteindre enfin le sommet de l’Annapurna sans oxygène. J’ai laissé
tomber le métro. A chaque fois, j’avais l’impression que la terre allait se
refermer sur moi. Le bus me donne la nausée, je me débrouille avec ma voiture…
Les mauvais jours, j’arrive au boulot avec les yeux qui piquent, la tête lourde,
et les jambes qui flageolent. Je sais que la journée va être longue.
Curieusement, ça va plutôt mieux l’après-midi, à condition de ne pas suivre les
copines à la machine à café, parce que là, c’est comme si j’avalais une tasse
de nitroglycérine… J’évite les cinémas et les théâtres, parce que j’ai peur
d’avoir un malaise, et de me rendre complètement ridicule. Quand quelqu’un me
tape sur l’épaule, ou quand une porte claque, mon cœur se met à faire des sauts
de cabri dans ma poitrine et je n’ose plus remuer un orteil. Je rêve de voyages
lointains, mais je suis incapable de mettre les pieds dans un avion. Je
voudrais pouvoir m’allonger au soleil, sur une plage, sans avoir l’impression
de basculer dans le vide. Nager dans la mer, nager dans la piscine, même là où
j’ai pas pied, plonger dans les vagues en riant, monter dans une barque, un
bateau, j’ai cette trouille de l’eau, je ne vois pas le fond, cette peur
atroce, ce vide au-dessous de moi… Je voudrais aller au restaurant sans y
penser, toutes ces petites choses que tous les gens font sans appréhension. Et
je n’y arrive pas. Quand le sol se dérobe sous mes pieds, je cherche le chemin
de la maison, comme on cherche un refuge. Je suis incapable d’aimer quelqu’un,
ou de laisser quelqu’un m’aimer, parce que je sais que je vais lui empoisonner
la vie, et qu’il va me prendre pour une névrosée, ou une hystérique. Alors je
reste seule, et je déteste ça. Je voudrais avoir des enfants, mais serais-je
capable d’en assumer la charge ? Je ne sais pas ce qui se passe dans mon
corps, ou dans ma tête, mais je sais que ça me pourrit l’existence. J’ai mal au
dos, j’ai mal au ventre, j’ai mal au crâne, je suis crevée. J’ai vingt-neuf ans
et j’ai l’impression d’en avoir cinquante. J’ai eu quatre arrêts maladie en six
mois, et ça va finir par m’attirer des ennuis. Les gens commencent à me
regarder avec un drôle d’air… Je suis en train de passer à côté de ma vie, de
marcher à côté de mes pompes, je le sais, et ça me fout encore plus la trouille
que la profondeur de l’eau, mais à part ça, tout va bien. C’est ce qu’ils m’ont
tous dit. Je suis en bonne santé. J’ai rien. Qu’est ce que je fais ici ?…
Ouf ! J’avais l’air un peu conne,
mais ça faisait du bien. En tout cas, ça le laissait de marbre. Bienveillant,
mais de marbre. Ca se confirmait, il en avait vu d’autres, et peut-être même
des pires.
- Allons-y doucement, fit-il, en me montrant
la paume de ses deux mains. Vous savez, de très nombreuses personnes ressentent
ce type de symptômes, avec des tas de variantes, parfois bien pires...
J’en
étais sûre ! Et ça me faisait une belle jambe !
- Allongez-vous ici.
L’auscultation fut rapide et précise.
Sans commentaire. J’avais l’habitude. Ceci accompli, il me fit asseoir sur le
bord et me tapota la joue gauche avec le bout de son index en murmurant :
« Ah oui…Ah oui, effectivement… »
- Des tas de médecins m’ont
tapoté la joue comme ça, fis-je, mais aucun ne m’a expliqué pourquoi.
J’aimerais comprendre, si ce n’est pas au-dessus de mes possibilités…
- C’est un simple test de réflexe
facial, comme quand on vous tapote le tendon rotulien avec un marteau. Si la
lèvre supérieure se contracte brusquement vers le milieu et vers le haut, c’est
un signe d’hyperexcitabilité neuromusculaire. De spasmophilie, si vous
préférez… C’est le signe de Chvostek.
Il y avait donc une marque
d’infamie ?… Un tatouage sur le front ?… Un badge ?… Un signe de
reconnaissance, comme dans une secte ?…
- Et… euh… Je l’ai ?…
- C’est le moins que l’on puisse
dire…
- Qui est ce… Chvostek ?
- C’est un médecin hongrois
anonyme qui est devenu célèbre en découvrant ce rélexe facial particulier… Ce
n’était pas évident à trouver. Une sorte de presque rien, un signe impalpable,
et en même temps, assez significatif.
- Mais pourquoi moi ?…
- On a
coutume de dire, continuait-il, que la
bonne santé, c’est le silence des organes. Les votres semblent être juste un
peu trop bavards...
- Et
il faut faire avec, hein ?…
- Je
n’ai rien dit de tel.
-
Alors faites les taire, s’il vous plaît…
- Je
m’y emploie… Ce que vous décrivez ressemble effectivement à ce que l’on connaît
sous le nom de spasmophilie, mais j’ai besoin d’en savoir un peu plus.
Je ne savais pas quoi dire d’intéressant…
Je voulais parler de ma souffrance.
- Je sais que cela peut paraître
ridicule, mais je vous assure, parfois, j’ai vraiment l’impression que je vais
mourir...
- Ce n’est pas ridicule. Du moins
pas à mes yeux. Un peu excessif, peut-être, mais la sensation de mort imminente
est très fréquente dans les attaques de panique. C’est ce qui fait dégénérer la
crise... Vous avez déjà fait des attaques de panique ?
- Oui.
- Racontez-moi la première.
J’ai esquivé la question. J’en avais
marre de raconter cette histoire…
-
Je ne sais pas ce qui est le pire, fis-je, ça, ou les cauchemars...
- Vous faites souvent des
cauchemars ?
- Tout le temps...
-
Dites-moi en un peu plus.
- Des chiens, des rats, des tigres, des
tours qui basculent en enfer, des parachutes qui ne s’ouvrent pas, des Titanic
sans De Caprio, juste l’iceberg et l’eau glacée, des dents qui tombent, des
escaliers sans fin, des fourmis rouges, des rivières sans retour, des monstres
du Loch Ness, de l’eau, toujours, des lacs sans fond, des océans sans limites,
des serpents venimeux, des cages de fer, des ongles incarnés, des lames de
rasoir, de l’eau de javel…
- De l’eau de javel ?
- Oui pourquoi ? C’est
tabou ? Je ne sais pas l’expliquer… Peut-être à cause du chlore à la
piscine… J’ai des problèmes avec la piscine…
- Vous avez peur de vous
noyer ?
- Oui.
- Vous
arrive-t-il parfois de rêver tout en sachant que vous êtes en train de rêver ?
LA SUITE DE CE CHAPITRE DANS LE LIVRE ............
pour ceux qui ont envie de connaître la suite.....