SPASMÖ La spasmophilie est (aussi...) un roman. |
Lettre ouverte au docteur Christophe André, auteur de « Petites angoisses et grosses phobies » (Seuil)
C’est quoi la Spasmophilie, à la fin ?
Vaste problème… Ca existe, d’abord ?.
On pourrait faire très long là-dessus, mais pour faire court,
je dirais qu’il y a deux manières opposées de la considérer.
Le
docteur Christophe André a commis de nombreux ouvrages
sur le syndrome anxieux et ses innombrables tentacules(plus que moi, c'est
certain...), le plus récent en date, mais pas le moins brillant,
étant « Petites angoisses et grosses phobies » au Seuil,
superbement illustré par Muzo, et qui a connu un succès
mérité. J’ai appris beaucoup
en le lisant, et je me suis aussi amusé avec les terrifiantes petites
BD de Muzo. Dans son livre, il expédie
le sujet en deux phrases lapidaires, je cite : « Les paniqueurs
sont souvent aussi catalogués « spasmophiles ». La
spasmophilie, comme la crise de foie, est une spécialité
médicale française : Folklorique, certes, mais à
cause de ce type de diagnostic, beaucoup de paniqueurs ne reçoivent
pas les soins efficaces et prennent inutilement du calcium ou des tranquillisants
pendant des années. » Eh bien docteur André, avec tout le respect que je vous dois, j’aurais deux ou trois perfides remarques à faire à propos de cette sentence :
A la une : D’abord, sur un plan
purement sémantique, il se trouve que le mot « spasmophilie
» existe bel et bien dans la langue française, alors que
le mot « paniqueur », lui, n’existe pas.
Deuxième observation : Si vous suiviez de près l’évolution des méthodes concernant le syndrome anxieux (oublions « spasmophile ») vous vous seriez rendu compte qu’il y a bien longtemps que les bons médecins n’utilisent plus les cures de calcium ou de tranquillisants pour traiter les patients. Ca, c’était à la grande époque des Klotz ou des Rubinstein. Des traitements beaucoup plus individualisés et ciblés ont été mis au point, souvent à l’aide de nouvelles molécules, ou de médecines dites « douces ».
Troisième round : Le mot « paniqueur »
ayant à l’évidence une connotation péjorative
beaucoup plus forte que le mot « spasmophile », comment pensez
vous que le patient, déjà fort mal dans sa peau, va réagir
quand il va se voir collé dans le dos l’étiquette
« paniqueur » ?
Quatrième et avant dernière : Effectivement, le mot « spasmophilie » est une exclusivité française, tout comme le mot « camembert » Est ce que vous en déduisez que le camembert n’existe pas ? Il est vrai que le syndrome anxieux insaisissable dont nous parlons, non content de changer d’aspect en passant d’une personne à l’autre, porte des noms différents selon les pays où il décide d’aller sévir, vous l’expliquez fort bien : « panick attack », « ataques de nervios », j’en passe et des meilleures… Quelle importance… Quel que soit le pays, quel que soit le terme employé, les patients décrivent toujours et partout la même panoplie de misères, à la variante près. Vous lisez les forums internet sur le sujet ? Ils sont remplis de milliers de gens qui racontent tous la même errance angoissée, du fin fond de l’Afrique, au Japon, au Québec, à la Russie ou aux villages d’Irak, sauf qu’eux, ils n’ont pas de forums, ni de médecins, l’angoisse, on la lit dans leurs yeux, à travers les pixels mordorés de CNN… Le syndrome anxieux, tout comme
le mythe de l’hydre de Lerne, est universel, intemporel, et consubstantiel
de la nature humaine. Il faudrait s’appeler Hercule pour en venir
à bout, et encore, même une fois mort, l’hydre a tué
Hercule par son venin imprégnant la tunique de Nessus. Cioran prétend
même que l’anxiété est consubstantielle du monde,
et qu’il serait donc logique d’être anxieux à
tout instant, vu que le temps lui-même n’est que de l’anxiété
en pleine expansion, une anxiété dont on ne distingue ni
le commencement ni la fin, une anxiété éternellement
conquérante… Inutile de perdre son temps à tenter de trouver un terme générique pour fédérer l’insaisissable. Pour ce qui me concerne, je me fous complètement de savoir comment on qualifie le syndrome ou s’il est nécessaire d’écrire des livres entiers juste pour tenter de le définir. « Spasmophilie » vous gêne ? Ca fait un peu trop « Astrologie », ou « soucoupes volantes » ? Je vous le laisse, mais qu’avez vous à me proposer à la place ? « Le syndrome du paniquard » ? Ca fait un peu film catastrophe, non ? Ce qui m’intéresse, c’est l’individu qui se trouve en face de moi, ou avec qui je dialogue sur le net, et qui étant unique au monde, n’est pas étiquetable, et a besoin d’une thérapie adaptée à son cas, une thérapie basée sur la confiance. Confiance dans le médecin, bien sûr, mais pas seulement. Il faut aussi lui faire retrouver une confiance en soi, pour qu’il parvienne à se prendre lui-même en charge sur le long terme, et ce n’est certainement pas en le traitant ironiquement de « paniqueur » qu’on va le mettre sur cette voie.
Cinquième élément : Puisque vous semblez si bien
savoir ce qu’il faut dire ou ne pas dire, ce qu’il faut faire
ou ne pas faire, alors expliquez nous pourquoi malgré tous vos
efforts, ce mal (du siècle ?) continue à ravager de plus
belle nos villes et nos campagnes, pourquoi un patient sur deux en médecine
générale se plaint de troubles liés à l’anxiété,
pourquoi il faut souvent plusieurs mois pour obtenir un rendez-vous avec
les spécialistes de la chose, pourquoi la consommation de médicaments
anxiolytiques et antidépresseurs bat tous les records en France,
pourquoi lorsque l’on tape les mots « spasmophilie »
sur un moteur de recherche Internet on obtient 10 000 réponses
bien folkloriques et bien françaises ; Lorsque l’on tape
anxiété : 48 000 réponses. « Panic attack »
: 55 000 réponses. Panique : 83 000 réponses . Anxiety :
trois million deux cent mille réponses… Internet est en train de devenir
le plus énorme psychothérapeute de l’univers ! Une
gigantesque catharsis à l’échelle de la planète.
Mon dernier contact semblait convaincu d’être atteint de «
schyzophrénie paranoïde » (sic) et envisageait de rejoindre
la voie du Pranayama… Alors docteur André, please, vous qui savez, expliquez-leur ! Ne gardez pas le secret de la potion magique pour vous ! L’Hydre se porte à merveille ! Vu l’état de la planète présent et à venir, l’Irak, Al Qaida, les retraites, la pneumonie, George W, les chinois, le chômage, les banlieues, le Sida, le cancer, les superstitions de tout poil, les gourous, les messies, les clones du Loft, et les déboires de l’équipe de France de football, il n’a aucun souci à se faire pour sa santé le bestiau. Si vous pensez qu’en prononçant les deux phrases que je citais au début vous faites reculer l’Hydre, moi, je vous dis que vous vous trompez sur ce point, même si vous avez raison sur bien d’autres. Et même si vous ne vous trompiez pas, vous auriez pêché par maladresse. Nous avons la chance en France de vivre dans un pays confortable, où l’on trouve partout d’excellents médecins. Bien des pays n’ont pas cette chance. Ce n’est pas la compétence qui leur manque, à vos confrères, c’est l’humilité, la compassion, la faculté d’admettre que l’on apprend tous les jours, et que le patient qui émet une plainte est quelqu’un qui souffre, même s’il n’est pas malade. Vous ne savez pas
tout, docteur, ni sur le syndrome spasmophile, ni sur la panique, ni sur
ces troubles anxieux ou organiques qui vont plonger leurs racines dans
les profondeurs vertigineuses du métabolisme ou des circonvolutions
cérébrales, dans ces « terra incognitae » où
comme dans un accélérateur de particules, la collision des
stimuli et des neurones engendre ces entités impalpables qui deviendront
le matériau de base du « je », les particules élémentaires
de la conscience humaine. Pour ceux que le sujet intéresserait,
ce processus de construction d e l'identité à travers le
flux des sensations, des stimuli est magnifiquement décrit par
Robert Musil
dans « l’homme sans qualités » (également
au Seuil). Ce processus de collision
avec le réel est parfois harmonieux, et il engendre le plaisir,
parfois inharmonieux, et il engendre la douleur. Vous connaissez aussi
bien que moi le nombre de connexions potentielles à l’intérieur
du cerveau humain : 10 puissance 15. Un million de milliards de chemins.
Sacré labyrinthe. S’il y a un Minautore à l’intérieur,
c’est clair qu’il vaut mieux éviter de croiser son
chemin. La plupart des spasmophiles, anxieux, dépressifs, paniquards, tétaniques, ou assimilés, courent de médecin en médecin, de gourous en voyantes, de thérapeutes en charlatans, parce qu’ils sont persuadés qu’un jour où l’autre ils vont en trouver un qui aura tout compris, une sorte de dieu vivant, qui va accomplir un miracle. Votre premier rôle dans cette affaire, médecins, c’est de convaincre le patient que sur ce type de troubles, personne n’a la science infuse, personne ne se pose en donneur de leçons, personne ne fait de miracles. On avance dans la thérapie main dans la main, en traitant d’égal à égal, en essayant d’expliquer au patient le peu que l’on a soi même appris, et en se remettant sans cesse en question. Je vous citerai cette
phrase du professeur Michel Jouvet,
un des meilleurs spécialistes français du cerveau, et en
particulier de l’étude des rêves : « D’ici
cinq ans, la moitié des connaissances que nous possédons
actuellement sur le fonctionnement du cerveau humain sera obsolète.
Le problème, c’est que je ne sais pas de quelle moitié
il s’agit. »
Je vous citerai deux autres phrases pour conclure : Celles qui reviennent le plus souvent, des milliers de fois, et dans toutes les langues sur les forums : « Au secours… Est-ce que quelqu’un peut m’aider » ou « je ne comprends pas ce qui m’arrive…» Ces deux phrases là m’interpellent beaucoup plus que les deux vôtres. Help ! I need somebody, help !
Je précise
que j’ai un peu insisté sur ce thème, en vous chambrant
gentiment, dans mon modeste livre, chapitre 12, où je pastiche
allègrement Molière, dans la fameuse scène du poumon,
qui devient la scène de la panique !
Très respectueusement et avec le sourire Patrick Micheletti Auteur du roman folklorique « SPASMO » Site web : http://spasmo.is.free.fr pamicheletti@aol.com
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